Key Largo 4

Parfois les choses s’emboitent parfaitement. Les palmiers ondulent dans le vent continu. Dîner avec des nouveaux venus dont certains seront des visages de bonne fortune. Image d’embranchements des échangeurs d’autoroutes de Los Angeles. Plutarque pensait au stress en barbotant dans la mer des caraïbes : « Terme exprimant à la fois l’agression subie par l’organisme et la réaction de ce dernier ». Faut que je travaille, surveille mon sac, quelle heure il est ? Souvenir de Roger le rasta et de Princess Erika. Hier au bar des gens hurlaient dissonants au karaoké, déchaînés, libérés, à cinq jours de la fête de l’abolition de l’esclavage dans un hôtel de tourisme pour blancs. Patrick le taxi en veut beaucoup à la France : « on est une pépinière pour eux, ils nous laissent sans rien ». Pour nous punir peut-être, le bar ferme à onze heures.

Plutarque brancha le transmetteur pour la note de synthèse : « Classe dirigeante sous stress permanent, émiettement des tâches, poids des responsabilités « à la fin tu décides toujours seul, plus t’as de pouvoir plus ça t’isole », références permanentes à la famille refuge, aux tutelles, aléas permanents en rotation aléatoire, comme un organisme qui se dilate et rétracte en fonction des pressions, du courant, gorgés d’adrénaline, des anguilles électriques, intelligents, sensitifs, peu manipulables. Bâtiment Bauhaus : médiathèque High-Tech, don du baron de la drogue dont équipes longent paillotes littoral et centre-ville en faisant rugir leurs motos, bandanas blancs sur la tête. Aucune trace de police. Repéré par jeune dans Hummer blanc croisé plusieurs fois à faible allure avec passagère bikini, lui tatouages dans le cou « Lorraine ». Taxis, échoppes, commerces, restaurants vérifiés. Rentré à pieds par la plage, bonne forme physique, suivi jusqu’à hôtel. Cible non détectable et peu probable sur site. Journée Off puis départ Sainte-Marthe ».

L’ultra luxe, c’est disposer d’un petit stock de temps devant soi. Ici et maintenant : vingt-quatre heures. A agencer. Extrait du tumulte, le poisson retourne à l’eau. Combien sont faits de la lave froide des passions tristes ? On les repère tout de suite avec leur bile aux lèvres. Combien sont de purs robots bardés de jouets pour adultes ? Leur vie est le supermarché. Si tout s’annule à la fin, tout est égal ? Peut-être que j’ai faim ou que je désire une bière. Décrire pour arriver à une neutralité dans cet après-midi, j’entends les oiseaux coucous et le chariot des femmes de chambre, découvre avec effroi « Tropique du capricorne », je ne savais vraiment rien, n’avais vraiment rien lu. Mon ignorance est totale et pourtant je m’en sors pas mal. On glisse à la surface des choses comme disait Lao-Tseu.

Vous sortez de l’hôtel et descendez la route sur un kilomètre puis c’est « La Caillebotte », restaurant ouvert sur deux terrasses au milieu des arbres, une douzaine de tables et si vous avez comme moi un peu de chance, la playlist envoie « In the Air tonight » à l’exact moment de ma première gorgée de bière. J’enlève mes baskets sous la table comme une petite vieille aux pieds congestionnés. Le patron me donne du « cher monsieur » quand il prend puis m’apporte la commande -du poulet yassa- et je me sens considéré car son sourire est franc, sa parole authentique, je sais qu’il ne triche pas.

La pluie se met à tomber sur la forêt, le toit et la cour et l’odeur de la pluie sur l’asphalte chaude a l’odeur de la pluie sur l’asphalte chaude dans tous les endroits du monde. Ma maigre envie de travailler se dilue dans la bière et la torpeur caribéenne, mon infaillible instinct m’a guidé pile sous le ventilateur, me voici propulsé véritable coq en pâte. Puis la pluie laisse place à un implacable soleil et la playlist tourne vinaigre mais ma réserve de zen ne peut être entamée, le poulet est délicieux et dans ma chambre un peu plus tôt je cherchais la neutralité et maintenant je suis tout exalté, j’ai envie de célébrer la vie dans chaque mot chaque phrase que j’écris : « Hmm quel merveilleux poulet yassa, merci petit poulet qui fut sacrifié pour moi, merci sacré(e) bon(ne) cuisinier(e) ! » mais au moment où je l’énonce mentalement surgit un coq entre le pick-up et le van utilitaire suivi par trois poules et le coq bat des ailes comme pour me dire bonjour ou peut-être qu’il a chaud ou qu’il drague juste les poules et je réalise soudain que je suis en train de manger du poulet sous son nez, quelle horreur ! Et je trouve ça délicieux et j’étais extatique ! Mon dégoût est total et je sue à grosses gouttes, le coq tourne les talons et disparait suivi de ses poules derrière les pissotières.

Key Largo 3

La fête est asexuée pour autant que je puisse le voir, une assemblée de femmes qui dansent sur des trucs que je n’écouterais jamais sobre et finalement même soûl je reste collé sur ma chaise, pas désagréable ce relâchement soudain, explosion de trop-plein de stress et contingences complexes, ce sens de la transe chez des gens qui encaissent. Les convives se lâchent dans l’alcool et moi je garde le contrôle, je connais mon œil torve et la paupière tombante, le débit hachuré et l’étonnement de l’autre. Fait chaud à en crever je danserai peut-être bien plus ivre sur du Johnny Thunders. Alors je rentre me coucher, Henry Miller qui rôde bien en plein dans le plexus, je les entends de ma terrasse et je me réjouis de leur joie, la mienne est solitaire, noire et électrique.

Key Largo 2

J’allais envoyer mon compte-rendu au service quand une fille sortit en maillot de bain de sa chambre au rez-de-chaussée pour faire une vidéo, tournant sur elle-même pour montrer le paysage à son interlocuteur tout en me montrant ses fesses très légèrement couvertes pas un maillot de bain miniature. Ma concentration était ruinée.

Je décidai de fixer les vagues qui s’échouaient sur la plage en respirant profondément, de petites rafales de vent rendaient la chaleur très supportable. Plus loin un type enchainait des longueurs de crawl dans la piscine à débordement. Il n’était pas huit heures, des oiseaux au bec long et fin chantaient comme des coucous. J’activai le transmetteur de données en rédigeant la note de synthèse :

Marche trois heures et demi douze kilomètres le long du littoral, trente-trois degrés, bonne forme physique, touristes et locaux sur les plages dont brûlés par exposition chronique non protégée, effluves d’essence fuitant de baraques en bord de plage, laboratoires coke ou cristal meth ceints de bidons rouillés de la Shell et hamacs de surveillance, immersion dans Saint-Luc : paillote en bord de plage dans village, menu 55 euros langouste grillée sur barbecue, touristes et couples locaux, bière et vin socialisation avec tables voisines, petite ville basse, échoppes fermées, maigres étals et supermarché piteux, achat Aloé Vera et écran solaire dans pharmacie 22 euros, on dirait le Mexique, rien de notable hors les Pick-up neufs de trafiquants, aucune trace de la cible. Erreur/flashback : hôtel de ville flambant neuf en verre fumé style Bauhaus, incongru, sidérant dans village de cette taille, ciblage prioritaire. Soirée : touristes au bar, deux bières puis passage proche piscine et restaurant, rien à signaler, retour chambre 2436 pas d’intrusion décelée, assouplissements, méditation, demi-pizza froide de la veille, sommeil sans rêve, réveil quatre heures, appel du service central quatre heures quinze pour évaluation cible potentielle, transmissions métropole, socialisation six heures trente au petit-déjeuner, collecte informations sur écosystème congrès, affable et souriant, concerné par échanges, acuité perceptive et relationnelle maximale, posé jalon pour restaurant avec influents dans échoppe conseillée par taxi non affilié. Fin de transmission.

Key Largo

Paraît qu’Hemingway portait ses chaussures comme des babouches, écrasant le talon pour être plus à l’aise sous le soleil de Floride. Il n’a pas écrit Key Largo dont le nom est peint sur une des longues barques de la crique. De grands oiseaux fins préhistoriques se battent en l’air pour des boyaux de poissons que leur lancent les pêcheurs. La chaleur semble tout écraser, le bruit des vagues toutes proches légèrement assourdi. La paillote se vide, c’est l’heure d’un bon café. Dans mon métier on subit beaucoup de pression comme dans beaucoup de métiers, tout le monde peut pas marcher avec les pompes en espadrilles et se battre avec la bouteille et la machine. C’est un pays à sieste comme tous les autres pays. Quarante minutes de marche sous un soleil brûlant, la tête assez vidée pour sentir tout ce qui vit et pulse dans les bois, les sangs et les corps. Sous la mer, sous le patois et la chant des habitants qui parlent comme ils dansent. S’il y a de la pression ici ce n’est vraiment pas la même. Ça doit être la survie, l’amour et la débrouille, des baraques en front de mer ressemblent à des labos de drogue, des bidons Shell partout, des carcasses de n’importe quoi, le temps semble étiré ou c’est ma perception, légèrement floutée, un petit peu amortie.

Tropiques en mai

Salvator Rosa avait une devise, une manière bien à lui de voire les choses : «ne dis rien qui ne vaille mieux que le silence». Bien à lui mais tout de même repris d’un conseil de Socrate à un groupe de disciples quelques siècles en arrière.

La climatisation ronronnait par-dessus le gazouillis de quelques oiseaux, il serait bientôt cinq heures et le jour allait poindre sur le petit village vacances où Plutarque était arrivé la veille, sans sa valise restée à Orly, sans brosse à dents ni dentifrice, sans vêtements de rechange, après neuf heures de vol à côté d’une charmante petite dame qui convoyait un mini bouledogue nain qui passa son temps à péter puis finit par chier un truc abominable qui empestait le WC chimique une heure avant l’atterrissage et Plutarque eût le plus grand mal à ne pas vomir, effaré qu’ un minuscule organisme puisse produire une horreur si pestilencielle.

Plutarque se leva pour pisser, s’inspecta dans le miroir de la salle de bains, le sèche-cheveux Shave 2000 ressemblait à un aspirateur de table effilé, le petit-déjeuner n’était servi qu’à six heures trente, il sortit sur la terrasse fumer une cigarette : la chaleur était déjà là, épaisse, dense, la terrasse voisine déjà éclairée comme le vieil arbre majestueux aux racines noueuses au pied duquel on avait placé un puissant spot, deux oiseaux le frôlèrent quand il s’approcha de la rembarde, Plutarque recula d’instinct jusqu’à la baie vitrée le temps que son cerveau imprime que ce n’était pas de gentils moineaux mais de grosses chauve-souris qui tournoyaient autour de l’arbre jusque sur les terrasses, il écrasa la cigarette et rentra se coucher, ouvra grand les rideaux pour voir le jour qui allait se lever et le dessus des palmiers onduler faiblement dans le vent chaud.

Rien de bien méchant pour un voyageur intrépide, quelques désagréments mineurs qui arrivent à tout le monde. À tout le monde mais pas à moi, pensait Plutarque, j’ai toujours eu beaucoup de chance, je ne suis pas habitué à la déveine, alors point de panique ni d’idée de maraboutage mais enfin, l’enchaînement de tout ça me laisse l’idée qu’une attitude prudentielle est de mise, quelque chose dans ce voyage me semble un peu hostile.

Une bonne douche me fera du bien, pensa t’il. Si elle fonctionne, J’aurais dû l’essayer en prenant la chambre. Allons, inutile de stresser, j’irai voir à six heures. Le jour s’était totalement levé. J’ai beaucoup de travail administratif pour boucler la dernière mission, c’est peut-être du pain béni de devoir rester là bloqué dans ma chambre 2436 à attendre la valise. La clim fonctionne, ça peut faciliter une adaptation douce au climat. Et j’ai envie de lire un peu d’Henry Miller. Une journée de moine reclus sous les Tropiques pendant que les touristes et les congressistes se promènent en tongs et petite tenue, voilà le truc à faire. Le vrai et seul truc à faire pour éviter les coups de soleil et la folie des îles. On verra éventuellement ça après les deux jours de congrès.

Dans les bureaux fermés

Il voulait quitter une femme qui le menaçait de « tout révéler » puis ses parents lui dirent de « suivre son instinct et pas s’inquiéter » oui mais enfin « tout révéler » pensa-t-il ça mérite reflexion puis il jouait un morceau sur la stratocaster, trois quatre accords qui sonnaient pas mal puis se réveilla en sueur, en plein hiver.

Le café ne dissoud qu’à peine le trouble, il alluma une cigarette et fouilla Youtube pour trouver du rap approprié, something cool mais ferme, un truc de dur qui prend les évènements avec hauteur parce qu’au fond il a ce qu’il faut pour se sortir de toute situation. Mos Def, oui, structuré, un peu kung-fu, déterminé, groovy, de quoi envisager la journée avec l’état d’esprit qu’il faut.

Le salon n’est pas très feng-shui mais ranger serait déprimant, le dimanche les gens lavent leur voiture, vont au marché, mangent du poulet en famille, il fait gris sûrement froid, il faut certainement un plan d’action, l’effet du café retombe déjà, heureusement la playlist déroule du bon hip-hop, les 80’s, un peu de 90’s, un plan d’action donc.

Un autre café, une douche ? La douche fut inventée par un type qui devait sûrement faire face à des situations difficiles à gérer : un poivrot qui doit se ressaisir pour aller bosser, un pervers qui doit se laver de ses péchés, un type qui pue de toutes les parties du corps.

Il aurait voulu bricoler, avoir un garage avec des outils, avoir des choses à bricoler et savoir bricoler, un jardin avec une pelouse à tondre et une tondeuse, tout ça ne rimait pas à grand chose, perché sur sa chaise haute à différer toute action. Dans la bibliothèque de l’entrée il avait le Tao Te King de Lao Tseu, Lao Tseu faisait ce genre de choses, rester perché sur un caillou à sous-peser toute action et ses conséquences pour finalement décider qu’il vaut mieux ne rien faire et laisser la rivière couler et les oiseaux chanter. Pas d’oiseaux dans le coin mais des voitures passaient à plus ou moins vive allure sur le Boulevard, tout l’intérêt d’habiter au rez-de-chaussée, on mesure bien la futilité de toute chose.

Et c’est pareil à New-York, Manille ou Valparaiso. Tout à l’heure il pensait aller au bureau, seul et tranquille pour avancer sur ses dossiers ou juste passer un peu de musique en regardant les nouvelles défiler sur l’écran, parce qu’au travail peut-être trouve-t-il un peu de contrôle ? Y a pas de mal à avoir de drôles d’idées. Aller au boulot le dimanche. Libéré de l’idée désespérée d’établir un plan d’action il prit une douche et rejoignit sa chaise haute, examinant maintenant toutes les options au premier rang desquelles peut-être, refaire un café.

EQuinoX

Les côtes de Californie, juste à longer, laisse rouler, les vagues datent du temps des incas. Avant le feu en bouche. Les yeux du sang. L’âtre. L’aisselle. L’aine. Tout le tendre. Les poils poussent sous la peau. Certains s’infectent. Roulette russe. Un soir dans un bar gay, que des survivants, l’étrange idée d’êtres punis et de parler pour eux. Dans les hauts palais de l’Hôtel de Ville. Dorures au plafond, peintures de maitre, pop-corn étalé sur le parquet par les enfants, histoires d’hommes et femmes engagés contre la peur et la mort dans les haut-parleurs. Combats. Biologie politique et sociale. On s’échange des cartes de visite pour se revoir. Le barman me paye un verre, je parle à une féministe radicale qui passe à la TV, des jeunes crient et m’agacent et agacent un sosie de Lemmy de Motorhead, ça me détend de ne pas être seul à m’agacer, je ne finis pas mon verre et prend un taxi pour rentrer. Je loupe un peu le spectacle parce que le type parle tout le temps, il veut plus de répression, tous ces meurtres, cette violence, ce n’est pas normal, il faudrait agir plus sévèrement. Au réveil je n’ai plus de pain pour me faire une tartine, j’opte pour un yaourt et Move de State of Mind sur la platine. Ce canapé est le lieu parfait pour réfléchir un peu à tout ça, quelques heures à laisser décanter les perceptions de la semaine. Pas plus fou qu’aller laver sa voiture au soleil.

Spectrix

Chaque soir que la nuit tombe, il faudrait tout recommencer. Du premier coup de silex sur l’occiput d’autrui à la déflagration d’Hiroshima, les charniers de Kigali, Auschwitz, les Mongols qui dessoudent 40 millions de chinois au couteau, au hachoir, à pleines mains. Gorgés de sang, tueurs fantomes, armée de comptables. Les yeux rivés sur les écrans. Incapables de lire et de nous souvenir. Hypnotisés. Chroniques. Bénis. Maudits. Fils de la boue.

Certains soirs tout remonte, la nuit tombée depuis longtemps sur l’histoire du jour et du monde, on attend le lendemain qui ne lavera rien, qui fera tout renaître comme une bombe. L’usage de la machette. Une fourchette dans les yeux du mec qui convoite ta femme. La vie tordue de famille. Sociologie de la haine et de l’amour. Psychiatrie du groupe et de l’individu. Et inversement. La physique au coeur de toute chose, l’inconnu, l’innomable. Nous sirotons des vins fins car nous le pouvons. Si n’en avions pas les moyens nous trouverions ce qu’il nous faut dans l’éther, la thérébentine, la colle et le crack. Il faut ce qu’il faut. De tous temps. Vaille que vaille. Le sang nous perle aux lèvres.

Parfois une femme, un rayon. Si t’as de la chance. Si t’es verni. Si t’es béni. La lumière ne nuit pas. Jamais.

Celle qui brule les yeux. Celle qui leur permet de voir.

Le soleil.

Des lignes

Dériver pour que cela advienne, comme une prière.

Trouver des lieux et des mots qui me font sentir chez moi puis revenir en courant dans ses bras dont la chaleur me ranime, vidé par les miles et les vieilles chansons américaines, ému par la ferveur populaire des filles en bottes de cow-boy et Stetson, goudronné, plumé, ployant sous les champs de coton et la vie des esclaves, hanté par l’idée d’écrire l’histoire de l’homme qui aurait passé sa vie à tracer des lignes pour préfigurer ou déclencher une retraite dans une bicoque gelée du massif-central sans réseau, sans rhizomes, avec une vieille cuisinière et une ligne téléphonique fixe.

Comment traduire l’œil de Stéphane qui vrille parce qu’elle me sent partir pour parler à tout le monde, c’est comme célébrer le monde dans toutes ses dimensions, je ne pourrais pas le peindre, je n’ai pas assez de temps, je suis trop pris pour ça.

Certains soirs, chercher quelque chose que tout le monde voit, que personne ne voit, la lueur de l’individu au cœur du collectif, les timides et farouches élans d’émancipation, appels à l’aide muets, cachés derrière le besoin de faire bonne figure.

Le flux de pensée comme un briquet sur la table qu’on ne prend pas pour allumer une clope.

Que voit l’homme qui marche dans une forêt, que dire aux voyants ?

Dans la cité dortoir on se réfugiait dans un arbre pour nous protéger des guerres terrotoriales des grands, on se cachait dans les arbustes pour jouer, Thomas le grand déguingangé était brûlé par son enfance, tout le monde le sentait. Il porte des bagues en toc pour se rallier aux rois.

Bipolarité, une parole épiphanique : le « poor boy » manque d’amour car en fait rien ne peut le satisfaire ni combler son dévorant besoin, un gouffre de vide juste en dessous, il faut construire un atelier, se retirer du monde pour le décrire et le représenter, dans les méandres d’une ligne de fuite.

Heldon

La ville derrière les vitres du salon, des cris lointains nous parviennent du fond de la prison, c’était un beau jour de RTT et maintenant il fait froid. De vrais prisonniers purgent leur peine. Nous buvons à la nuit tombante. La voix de Gram Parsons.

Quelques heures de répit c’est tout ce qu’il nous faut. Demain nous regarderons nos agendas. Ce soir nous avons du chauffage et de l’amour, on le sent bien comme tout près d’un immense feu de bois.

Des larmes chaudes dans les yeux : un jour nous devrons mourir et nous quitter. Pour l’instant je vapote en te regardant lire un truc sur le Vietnam où les types font de la soupe de singe avec leurs petites mains qui flottent à la surface du bouillon.

Nous aussi mangerons de la soupe : épaisse, avec des nouilles chinoises.

Pendant ce temps Patrick est à Alger, Bejaia ou Constantine, ses baskets requin déchirées sous une djellabah, en route pour la tombe de sa sœur, seul et plein de sentiments.

Un jour tout s’effondrera, ne resteront que nos atomes disséminés on ne sait où.

Tout est si doux parfois. J’ai laissé le conseil d’administration, le blues de Memphis et la gestion derrière moi. Laisse mijoter la soupe et les nouilles, on a encore un peu de temps.